Pour savoir comment est née la soie en Chine, laissez-vous emporter par le récit de cet album jeunesse « La fille et le cheval de soie ». Quelle est la part de vérité dans cette légende chinoise ? Un entretien avec son auteur, Chun-Liang Yeh lève une partie du voile sur ce mystère millénaire…
Comment est née l’idée du livre « La fille et le cheval blanc. Aux origines de la soie en Chine » (HongFei Cultures) ?
J’ai connu l’histoire il y a longtemps pendant ma scolarité à Taiwan. En France, c’est la lecture de la traduction de Rémi Mathieu qui m’a donné envie de redécouvrir la version originale en chinois classique. J’ai été marqué par l’intrigue simple qui se tisse entre les 3 personnages principaux (père, fille, cheval) : le déroulement implacable de la tragédie m’a fait penser à des récits archétypaux d’Occident que j’ai pu connaître pendant mes années d’études en littératures européennes. Plus tard, après une collaboration avec l’illustratrice Minji Lee-Diebold sur l’album Grand’Tante Tigre, nous lui avons proposé d’illustrer cette histoire avec la technique de la broderie. En effet, l’expression plastique de Minji, caractérisée par une puissance extraordinaire sous une tendresse apparente, nous a paru idéale pour rendre palpable la tension qui parcourt ce récit dense et singulier.
Pouvez-vous nous parler du texte chinois du 4e siècle dont vous vous êtes inspiré pour écrire cette histoire ?
Le texte provient d’un recueil intitulé « À la recherche des esprits » composé d’environs 450 courts récits réunis par GAN Bao (au ive siècle). Les anecdotes qui y sont présentées contiennent souvent des éléments de l’ordre de l’étrange et du surnaturel. On peut y voir une expression de la curiosité des Chinois pour le monde qui les entoure, mais aussi le ressort intérieur des personnages qui évoluent dans un environnement qui les surprend par sa complexité. L’histoire de La Fille et le cheval blanc est un beau spécimen de cette tradition littéraire chinoise : les relations entre les protagonistes, exposées avec précision et économie, libres de détails superflus, impliquent le lecteur dans le jeu, dans l’exploration des émotions intimes. Son cœur bat à l’unisson avec celui de personnages intemporels. C’est une grande part de ce qui caractérise une légende.
D’une promesse non tenue va naître le plus précieux des tissus. Quel message ou quelle valeur cette légende veut-elle transmettre aux enfants ?
L’histoire de la fille et le cheval blanc n’est pas un conte qui délivre une morale, avec un gentil récompensé ou un méchant puni. Il n’y a pas de lien de cause à effet entre la promesse non tenue de la fille et la beauté de la soie qui en est issue. Je pense que la « vertu » de cette histoire est de mettre le lecteur, petit ou grand, face à ses sentiments personnels. Que ressentirait-il à la place de la fille qui découvre le cheval tué dont la peau sèche dans la cour ? Quelles sont les forces psychologiques impliquées dans l’avilissement d’un ancien ami devenu victime d’un parjure, ou au contraire dans le fait de se dénoncer et reconnaître son tort ?… Les enfants n’ont pas toujours besoin de se poser ces questions si explicitement, mais les histoires qui reflètent la nature humaine sans moralisme peuvent les aider à mieux comprendre la complexité de la vie, à être à la fois exigeants avec eux-mêmes et compréhensifs envers les autres.
A la fin de l’album, vous proposez un dossier documentaire. Pourquoi ce choix ? Est-ce un exercice d’écriture aussi aisé pour vous que la création d’un album de pure fiction ?
Les lecteurs découvrent, dans ces pages « culture », quelques noms de lieux lointains mais aussi le passé de nos villes ici, comme Tours et Lyon, liées à la sériciculture et à la fabrication de la soie. Ce n’est pas une leçon à apprendre par cœur mais une simple invitation au plaisir de découvrir le monde. Un nom mystérieux et évocateur d’aventure humaine peut attiser, dans le cœur d’un enfant, l’envie de partir voir le monde. De là commencera peut-être le récit de sa vie. Qui sait ? Pour l’enfant que j’ai été, ces notes documentaires ne me faisaient pas moins rêver que les histoires qu’on me racontait.
En quoi la légende que vous racontez fait écho à la véritable histoire de la soie ?
Je ne sais pas s’il y a une « véritable histoire de la soie ». À défaut d’expliquer tout rationnellement, le lecteur peut s’approprier ce récit pour appréhender certains mystères de la vie. Celui des « liens » par exemple (comme dit le renard du Petit Prince). Le lien entre père et fille ; le lien entre la fille et le cheval scellé par une promesse et rompu par un parjure ; le lien si résistant que permet le fil de soie produit par le ver, une créature fragile ; jusqu’à la communauté de destin des villes le long de la fameuse Route de la soie. J’aimerais que les histoires que je raconte donnent envie au lecteur de voir le monde autrement, parfois en passant par les méandres de ses sentiments intimes.
L’éditeur a fait le pari audacieux de proposer une illustration brodée de l’album. Comment avez-vous travaillé avec Minji Lee-Diebold, l’illustratrice ?
Comme éditeurs, Loïc et moi connaissions et aimions beaucoup le travail de broderie de Minji, pour qui cette histoire offrait une belle occasion d’explorer les possibilités d’expression que permet cette technique rarement utilisée dans l’illustration jeunesse. Comme on peut le constater dans son premier album chez HongFei Grand’Tante Tigre, Minji a un grand talent dans la composition de ses planches, le choix des couleurs, la création de personnages, de décors et de situations.
Pour La Fille et le cheval blanc, les échanges pour aboutir à un chemin de fer ont été tout aussi riches et efficaces. Minji a ensuite minutieusement préparé tous les détails (les tissus de couleurs et de textures différentes, le fils, les accessoires, etc.) car la technique de la broderie n’admet pas de retouche. Lorsque nous avons progressivement vu naître les images brodées, nous étions émerveillés : on a l’impression que les personnages et les objets se libèrent de la surface du papier, que la force physique de l’artiste irrigue les lignes qu’elle trace pour donner à voir ses créatures. C’est féerique ; c’est magique.
Propos recueillis par Sandrine Damie en avril 2015.
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