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Littérature jeunesse bulgare : les contes à l’honneur


Littérature jeunesse et voyage : Bulgarie

Entretien avec Elitza Dimitrova, éditrice chez Elitchka Editions : « la Bulgarie est un pays de conteurs, et leurs textes ont une portée universelle. »

Pouvez-vous nous parler de la littérature jeunesse bulgare ?
La littérature jeunesse bulgare est un phénomène relativement récent. La Bulgarie a fait partie de l’Empire ottoman de 1393 jusqu’en 1878, année où elle a retrouvé son indépendance. Cinq siècles durant, la flamme culturelle et identitaire de la nation survit dans les monastères. Les contes et les chansons populaires sont transmis oralement. La vie littéraire se développe considérablement au XXe siècle, dans un Etat désormais libre.

Les pères de la littérature bulgare, tels Ivan Vazov et Petko Slaveykov, se mettent à écrire pour les enfants, surtout des poèmes, des devinettes et des calembours, publiés dans des magazines dédiés aux jeunes lecteurs. A partir des années 1930, on commence à recueillir le patrimoine oral – les contes et les chansons. Nikolay Raynov livre un apport considérable à ce travail de recherche et de transcription des contes populaires bulgares et des contes du monde entier (30 volumes). Les contes d’auteur apparaissent. Anguel Karallitchev, Léda Miléva, Ran Bossilek, Emilian Stanev, Kina Kadreva, Svetoslav Minkov font autorité dans le domaine de la littérature jeunesse. On continue d’écrire beaucoup de poésie pour les enfants. Pour la 2e moitié du XXe siècle, on peut mentionner Valéri Petrov, Latchezar Stanchev, Stefan Tzanev.

Certains de ces écrivains ne sont pas réédités depuis leurs premières publications (c’est le cas de Kina Kadreva, qui figure pourtant sur la liste Andersen de l’Unesco parmi les meilleurs auteurs pour enfants dans le monde). Et les enfants bulgares ne connaissent pas encore les contes d’Edvin Sugarev.

En Bulgarie, on distingue nettement l’apport d’un auteur (le texte) de celui d’un illustrateur (les images). Je ne connais pas d’auteurs-illustrateurs comme on en a en France, mais cela viendra, j’imagine, car le pays est très sensible aux influences européennes.

Certaines oeuvres en prose ou en vers peuvent facilement être lus par les enfants, même s’ils n’avaient pas cette vocation au départ. Tel est le cas de Yordan Raditchkov, auteur extrêmement apprécié en Bulgarie, et de son délicieux recueil de nouvelles « Nous, les moineaux », récemment réédité avec des illustrations à l’adresse des enfants. Sans oublier un autre monument de la littérature bulgare, Yordan Yovkov, dont les nouvelles sont tout à fait accessibles aux préadolescents et aux adolescents.

Quels sont les contes traditionnels ou les personnages emblématiques de la culture bulgare ?
Dans les contes traditionnels, la morale prime. Ils transmettent une expérience, un enseignement. Les personnages sont des gens du village, fermiers ou  bûcherons, ou des animaux. Les titres sont de vrais proverbes. Ainsi, « Une profonde blessure guérira, tandis qu’on n’oubliera jamais un mot blessant », est une histoire d’amitié et de blessure entre un bûcheron et une ourse. Dans “La Débrouille” (Nevoliata, en bulgare – c’est assez difficile à traduire en français), c’est le père qui envoie ses fils couper du bois dans la forêt et les laisse se débrouiller pour rentrer quand leur charrette est cassée – tout ça pour leur enseigner la persévérance.

Traditionnellement, le peuple bulgare est très attaché à sa terre, au travail agricole, et les contes populaires témoignent de cet attachement.

Les contes d’aventure, quant à eux, sont ceux que l’on trouve ailleurs en Europe, et dans le monde, avec des dragons, des princesses, des objets magiques, des personnages qui ne payent pas de mine, mais qui se révèlent de bon conseil. Ils témoignent de l’importance des rites initiatiques dans l’apprentissage du monde. Ce sujet est universel.

Quant aux personnages emblématiques, on peut mentionner Krali Marko, une version bulgare de Hercule, défenseur des faibles et des opprimés. Sans oublier Hitar Petar, ou Pierre le Rusé (dont les histoires humoristiques ont été publiées sous forme de recueil en 2007 chez Albin Michel), qui symbolise la bonne humeur et l’intelligence populaires. Pierre le Rusé a l’esprit vif et sa parole est pleine de sagesse derrière un humour imparable – il arrive toujours à se tirer d’affaire !

Les animaux sont aussi protagonistes dans de nombreux contes populaires. Bref, le conte traditionnel bulgare apporte un enseignement et un conseil, transmet une expérience de vie, moralise et instruit.

Quel est le conte populaire bulgare qui vous tient particulièrement à coeur ?
Celui qui me vient à l’esprit est un conte d’auteur inspiré de la tradition orale, Les Trois Frères et la Pomme d’or (Anguel Karaliitchev). On retrouve diverses variantes chez les frères Grimm, et dans bien d’autres traditions encore. C’est un conte d’aventures où les 3 fils du roi partent à la recherche de l’eau vive qui guérira leur père. Chacun choisit un chemin différent. Le plus jeune prend un sentier couvert d’épines et court le risque de ne jamais revenir ; mais comme il est avide d’aventures, ça ne le décourage pas. Il sera servi : il y aura sur sa route des royaumes maudits, des dragons à sept têtes qui repoussent aussitôt coupées, et une princesse à délivrer. Le jeune frère est celui qui ne se fie pas aux apparences, qui ne désespère pas et qui cherche des réponses. Son personnage m’a toujours inspirée, je me suis toujours identifiée à lui ! « Une larme de maman » du même auteur, bien que ce ne soit pas un conte populaire, fait aussi partie de mon identité culturelle et personnelle.

Propos recueillis par Sandrine Damie

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