Un livre dans ma valise Actu,Amérique du Nord et du Sud,Témoignages La littérature jeunesse au Brésil (1/2)

La littérature jeunesse au Brésil (1/2)


littérature jeunesse Brésil

Dans le cadre du Salon du livre de Paris, le CNL a organisé une table-ronde sur la littérature jeunesse au Brésil. Forcément, j’y suis allée et je vous propose de retrouver sur mon blog les échanges sur les livres brésiliens pour enfants.

littérature jeunesse BrésilPendant près d’une heure trente, les 4 auteures invitées – Ana Maria Machado, Angela Lago, Béatrice Tanaka et Agnès Desarthe – ont captivé l’auditoire en évoquant la littérature jeunesse au Brésil à travers son histoire mais aussi leurs propres parcours d’écrivains et de lectrices. Animés par Nathalie Donikian, directrice littéraire, les échanges étaient captivants et instructifs.

Angela Lago
Née à Belo Horizonte, elle est écrivain et illustratrice réputée dans son pays et dans le monde hispanique. Après avoir travaillé en tant qu’éducatrice auprès d’enfants, Angela Lago a publié plus de cinquante livres au Brésil et à l’étranger, et illustré plus de quinze titres d’autres auteurs. « Le petit marchand des rues » est l’un de ses succès.

Ana Maria Machado
C’est l’une des grandes figures de la littérature brésilienne. Née en 1941, sémiologue de formation, elle a commencé par la peinture avant d’enseigner et d’écrire des articles. Militante pour la paix et la démocratie sous la dictature, elle choisit de s’installer alors à Londres et à Paris où elle travaille comme journaliste. En 1972, de retour au Brésil, elle continue d’exercer le métier de journaliste avant de se consacrer à plein temps à l’écriture. Auteure de romans, ce sont ses livres pour enfants (elle en a écrit plus d’une centaine, traduits dans 17 langues dont le français) qui l’ont rendue très populaire au Brésil.

Béatrice Tanaka
Née en Roumanie, elle a grandi au Brésil. Elle partage aujourd’hui son temps entre la France et le Brésil. Auteur-illustrateur d’une quarantaine de livres pour enfants, elle a aussi traduit et adapté de nombreux contes et légendes.

Agnès Desarthe
Ecrivain français, elle est auteure de livres pour adultes et pour enfants, et exerce également le métier de traductrice. Dans ses récits, elle distille des petites touches de philosophie, à travers des tranches de vie évoquant des quotidiens un peu décalés et fantastiques.

Nathalie Donikian donne quelques repères sur l’histoire de la littérature jeunesse au Brésil. Cette littérature jeunesse est née dans les années 1920 avec un grand auteur Monteiro Lobato qui a été un précurseur en proposant des histoires du Brésil pour les petits Brésiliens alors que cela n’existait pas jusqu’alors. Son oeuvre caustique, irrévérencieuse, inventive à marquer des générations entières et touche les jeunes encore aujourd’hui. Il est question de folklore mais aussi de grandes questions de société, traitées avec beaucoup d’humour et d’ironie. Le 18 avril, jour de son anniversaire, est le jour de la littérature Jeunesse au Brésil.

Dans les années 70 sous le régime dictatorial, les auteurs les plus représentatifs de l’actuelle littérature pour enfants apparraissent dans une revue, Récréation, dans laquelle Ana Maria Machado a participé.

Ana Maria MachadoAna Machado prend la parole : « cette revue représentait, pour tous ceux qui étaient en train de commencer à écrire, une chance de nous diriger vers un public nouveau. Aucun de nous n’était à ce moment là auteur jeunesse (historien, sociologue, etc.). Nous avons été invités à écrire justement parce que nous n’écrivions pas pour ce public ! On croyait que notre langage ne serait pas déformé par une attitude paternaliste, de haut en bas, trop pédagogique. On nous offrait un vrai moment de liberté, et c’est ce qui s’est passé. C’était une revue hebdomadaire qui vendait 250 000 exemplaires par semaine qui a connu ce grand succès car nous étions irrévérencieux, très libres ; on défiait toute forme de répression au moment même de la dictature au Brésil. (…)

Après la dictature, en 1985, la littérature jeunesse s’est beaucoup déployée au Brésil, notamment grâce à une politique publique d’achats de livres permettant de voir les livres entrer dans les familles par l’intermédiaire des enfants. Le gouvernement, les villes, les régions achètent de nombreux livres pour les diffuser dans les écoles et dans les familles (l’expérience est aussi menée en Colombie et au Mexique). Cette littérature jeunesse est d’une richesse incroyable.

Angela LagoAngela Lato évoque alors son entrée dans la littérature jeunesse au Brésil : « J’ai toujours beaucoup aimé les contes de fées et c’est cela qui a fait que j’ai eu envie d’écrire pour les enfants. J’ai commencé à écrire en 1980, après ce boom de la littérature jeunesse, je n’ai donc pas rencontré les mêmes difficultés que Ana Machado. Construire un objet livre était peut être la difficulté que j’ai rencontrée. J’ai voulu transformer ce livre et en prendre possession dans mes créations. »

Sur la question des contes, Nathalie Donikian interroge les auteurs sur les histoires qui ont nourri leur parcours et ont été fondatrice dans leur métier d’écrivain.  Béatrice Tanaka évoque alors son enfance en Europe de l’Est, avec les contes de sa Béatrice Tanakarégion qui l’intéressaient beaucoup : « En arrivant au Brésil, je me suis retrouvée face à des traditions très différentes ! En arrivant je pensais rencontrer des indiens et j’ai été très déçue ! Avec l’arrivée de la dictature, avec mon mari, nous avons fait le choix de rester en France pour que nos enfants ne subissent pas la morale. J’ai alors commencé à publier des livres pour enfants en France, j’ai commencé à écrire en français. Mon premier livre était un recueil de contes du Brésil en 1973. je me suis alors demandée si une « gringa » comme moi avait la légitimité pour publier un tel livre. Pour m’en assurer, j’ai fait un voyage dans tout le Brésil pour rencontrer les spécialistes du folklore, des villages, etc. On a fait des petites folies et je crois que c’est ce voyage qui m’a rendue plus Brésilienne que je ne l’étais avant. Le contact avec les gens et leurs diverses cultures a été décisif. »

Agnès Desarthe prend alors la parole sur la question du conte et de ses lectures d’enfant : « les livres qui existaient ne me disaient pas grand chose. Je me suis très vite tournée vers le conte – Andersen, Grimm, Perrault. Ce qui a été difficile, c’est d’arrêter de lire des contes ; je n’ai jamais vraiment réussi, c’est une addiction précoce et tenace ! De cela est née l’envie d’en écrire moi-même. Enfant d’une tradition orale, il y avait peu de livres qui pouvaient entrer en concurrence avec toutes les histoires qu’on me racontait à la maison (mon père, mes grands-mères, etc.). C’était des histoires passionnantes avec de la magie et du surnaturel. Quand je lisais des livres classiques, je trouvais ça très fade. (…) En grandissant et en vieillissant, j’ai gardé ce regard sur le monde et sur l’écriture : la fadeur ne m’a jamais intéressée ! J’aime tout ce qui est permis dans les livres pour enfants – l’espace de liberté y est immense. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi le réel devait régenter un espace qui était par nature irréelle. (…)

Ana Machado prend la parole sur les lectures de l’enfance : « Je voudrais évoquer Monteiro Lobato dont on a parlé en introduction en donnant l’impression qu’il se nourrissait juste de folklore et de contes traditionnels. Il a créé un monde imaginaire avec le même personnage dans plus d’une vingtaine de livres : ce personnage habitait une petite ferme à l’intérieur du Brésil où d’autres personnages venaient : un rhino s’enfuit d’un cirque, un héros de la Grèce antique le visite ou encore Don Quichotte. Il y a tout un ensemble d’histoires qui permettaient d’accéder ainsi à la littérature universelle : les personnages connus rayonnaient ainsi dans d’autres livres ; ils poursuivaient leurs histoires dans d’autres ouvrages. Lire Monteiro Labato signifiait ainsi ouvrir les portes vers toutes les littératures et pas seulement le folklore. Certes le folklore y avait sa place mais ses livres étaient bien plus larges que cela. (…)

Agnès DesartheSur l’imbrication des cultures, Agnès évoque sa perception de l’écriture : « Avant l’inscription dans le langage et dans une culture nationale, il existe un univers pré-culturel déjà très langagier. Cette espèce d’universalité, c’est ce à quoi on essaye de toucher quand on passe par la peinture ou le dessin, mais c’est aussi ce à quoi on essaye de toucher quand on écrit : essayer d’échapper à des représentations toutes faites, des clichés régulés par l’industrialisation de la culture qui n’a rien à voir avec ces premières perceptions. J’ai l’impression que c’est dans ces premières perceptions, que l’on va puiser, que l’on écrive pour les enfants ou pour les adultes. C’est important de retourner au moment où l’on regarde le monde sans savoir ce qu’est le monde. (…)

Ana Machado acquiesce à la suite des propos d’Agnès et dit combien elle est frappée du fait qu’on est pareil partout : « il y a cette unité de l’enfance avant même que la culture ne commence à nous imprégner. Toucher quelque chose qui est commun à nous tous, cet équilibre magique entre une expérience individuelle et une expérience commune est très émouvante. »

Sandrine Damie

NDLR : la suite des échanges demain 🙂

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