Il est des coins paradisiaques qui ont un passé douloureux. Dans le roman graphique « L’évadé de Belle-Île » illustré par Piero Macola, Philippe Nessmann raconte l’histoire des enfants qui ont été enfermés au bagne de Belle-Île-en-Mer… au 20e siècle !
Que raconte cet album sur le bagne pour enfants de Belle-Ile ?
Présentation de la maison d’édition : « En 1934, Joseph est envoyé à la colonie pénitentiaire de Belle-Île. Dans ce bagne aux conditions de vie terribles (et qui n’a fermé ses portes qu’en 1977), il subit violences et maltraitances de ses gardiens et devient le souffre-douleur d’un de ses codétenus. Un soir, pour avoir mangé son fromage avant sa soupe, il s’attire les foudres des gardiens qui le martèlent de coups. C’est le mauvais traitement de trop : les détenus se révoltent, neutralisent les gardiens et s’évadent. 56 fugitifs d’un coup!
Les gendarmes lancent un appel : 20 francs de récompense par enfant attrapé. La population de l’île entame alors une chasse à l’enfant sans merci… Tous les pensionnaires sont capturés. Après une descente au cachot qui lui fait entrevoir les portes de l’enfer, Joseph voit enfin poindre la lumière et l’espoir d’une vie meilleure… »

Mon avis de lecture sur l’album « L’évadé de Belle-Île »
Quand je découvre des histoires de maltraitance menée de façon systémique, je me demande toujours comment on a pu en arriver là. Et là, ce n’est pas à l’autre bout du monde, ce n’est pas dans un temps reculé. C’est il y a moins d’un siècle, en Bretagne. Ce bagne pour enfants a fermé définitivement en 1977… j’avais déjà 4 ans !
Le récit met en lumière les injustices et les épreuves subies par les jeunes détenus dans cet environnement oppressant, tout en racontant l’histoire d’une tentative d’évasion. Cet ouvrage, destiné à un public adolescent, aborde le traitement des mineurs délinquants en France au début du 20e siècle, à travers une narration émouvante et des illustrations au style expressif.


On suite Joseph, un jeune qui intègre le bagne après un vol de chaussures. Philippe Nessmann, l’auteur, adopte un ton narratif direct et immersif, qui plonge le lecteur dans le quotidien brutal du bagne à travers les yeux de Joseph. L’identification au jeune bagnard est immédiate pour le lecteur grâce au ton familier employé.

Les illustrations alternent entre des scènes d’ensemble, montrant l’environnement austère du bagne, les conditions de vie et des gros plans qui mettent en avant les expressions des visages.
L’album se termine par quelques pages documentaires pour permettre de mieux comprendre le contexte de ces « colonies pénitentiaires ». Et par le plus grand des hasards, le poète Jacques Prévert était sur l’île à l’époque de la mutinerie. Elle lui inspira le poème « La chasse à l’enfant » :
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux
Tout autour de l’île
Il y a de l’eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit « J’en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s’y sont mis
Qui est-ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclairs, ces bruits ?
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent ? Rejoindras-tu le continent ?
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux
Tout autour de l’île
Il y a de l’eau
Un reportage sur le bagne des enfants
Il existe plusieurs romans en littérature classique pour les adultes qui mettent en lumière l’histoire de ce bagne, comme par exemple « L’enragé » de Sorj Chalendon ou « Les larmes de Belle-Île » de Jean-Paul Le Denmat.
Un témoignage dur mais nécessaire.
En accostant à Belle-Île-en-Mer désormais, j’aurai une pensée pour ces jeunes.
Sandrine Damie
L’évadé de Belle-Île
De Philippe Nessmann (texte) et Piero Macola (illustrations)
Les éditions des éléphants
À partir de 11 ans
