L’Argentine sous la dictature


argentine

C’était il y a tout juste 40 ans. Certains enfants d’opposants au régime en place étaient enlevés et confiés à des familles au Pouvoir pour en faire de « bons » argentins. « Argentina, Argentina », roman de Christophe Léon propose de suivre un jeune adulte dans le récit de son enfance tourmentée. Il livre avec subtilité et force le témoignage de Pablo devenu Ignacio, une double identité analysée sans fards.

Argentina, Argentina de Christophe Leon« Argentina, Argentina » de Christophe Léon (Oskar éditeur) éclaire sur la dictature des années 70 en Argentine. Au fil des enregistrements et heures d’écoute (on vit l’histoire au rythme des « rec », « pause » et « play » du journaliste narrateur), on suit ce dialogue intimiste entre un journaliste français débarqué à Buenos Aires pour 3 jours de reportage et Ignacio, jeune Argentin étudiant en médecine.

Ignacio n’a pas été un enfant comme les autres. A 6 ans, sa vie bascule quand ses parents et lui-même sont arrêtés par le Pouvoir du fait des activités d’opposant de son père.

Avant d’arriver à ce tournant, Ignacio dresse le portrait d’une enfance heureuse mais rude, faites de petits bonheurs – l’odeur de lait de sa mère, les herbes aromatiques de sa grand-mère, son grand-père travaillant dans les champs, etc. Il dépeint chaque membre de sa famille et l’ambiance dans laquelle il baigne. Mais la situation politique se dégrade tout comme la vie des Argentins. Ignacio décrit avec précision cette atmosphère.

Arrive la terrible arrestation, la séparation d’avec ses parents (sa mère est sur le point d’accoucher), les heures horribles en cellule et l’interrogatoire de ce jeune enfant. Autant vous le dire, certains passages sont durs, mais que sont les mots à côté de la souffrance de tant de familles ?

Ignacio doit son salut à une famille de militaires qui ne pouvant pas avoir d’enfant va l’accueillir. Mais l’amour n’est pas franchement au rendez-vous, ou plutôt il passe par une éducation stricte. Pablo, rebaptisé Ignacio est éduqué – comprenez mis au pas au propre comme au figuré – pour devenir un enfant docile et adhérent aux valeurs du Pouvoir en place.

Et toute la force du récit tient dans cette vision ambivalente du jeune homme sur son parcours, sur ses sentiments contradictoires, sur la douleur qu’il ressent, et sur le plaisir qu’il trouve dans cette maison bourgeoise auprès du Caporal Guillermo Jorge Meares, véritable ange gardien pour ce jeune enfant. Entre compromis, remords et reconnaissance, il est bien difficile pour ce jeune adulte en construction de trouver sa voie.

Si Ignacio retrouve sa véritable grand-mère à la fin du roman… il va connaître la désillusion de découvrir son frère, né en captivité et également confié à une famille proche du Pouvoir. Hélas, ce frère – qui n’a aucun souvenir ni aucune attache avec sa famille biologique – ne voudra pas le rencontrer.

A noter : les Grands-mères de la place de Mai est une ONG fondée en 1977 en Argentine, dans le but de retrouver les enfants volés par la dictature militaire et les rendre à leur familles légitimes. Ignacio en fait l’écho en fin de roman.

Ce roman sur la quête d’identité sur fond de dictature militaire apporte un éclairage sur une période historique difficile de l’Argentine. Un très beau témoignage-fiction sur ce que certains ont dû vivre en Argentine. Eclairant, dur mais sans faux semblant.

Sandrine Damie

Argentina, Argentina
de Christophe Léon
Oskar éditeur
9,95 euros

Laissez-moi un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.