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« La ballade de Mulan » à travers ses illustrations


La ballade de Mulan

Quand la créativité d’une jeune illustratrice se met au service d’un texte chinois du IVe siècle, cela donne un album aux illustrations modernes et captivantes. Loïc Jacob, éditeur, évoque ici son choix d’avoir fait appel à Clémence Pollet, illustratrice.

Vous avez choisi Clémence Pollet pour réaliser les illustrations de l’album La ballade de Mulan. Comment s’est opéré ce choix puis la rencontre avec l’illustratrice ?
Nous connaissons Clémence Pollet depuis 2010. C’est peu dire que nous aimons son univers et sa création que nous regardons comme exceptionnels. Elle avait déjà illustré deux titres pour HongFei (L’Auberge des ânes, 2012 et La Langue des oiseaux, 2013), et nous souhaitions poursuivre notre travail ensemble. Le projet de La Ballade de Mulan s’est donc présenté comme une merveilleuse occasion. Alors que nous le gardions par devers nous depuis quelque temps – pour un texte de cette ampleur, le choix de l’illustrateur était déterminant – nous l’avons proposé à Clémence qui l’a immédiatement accepté. Ce fut pour notre plus grand bonheur car sans que cela fût exprimé, lui proposer ce projet qui nous tenait particulièrement à cœur, c’était lui dire notre admiration et notre confiance.

La ballade de Mulan - HongFei CulturesQu’aimez-vous dans son travail d’illustration ?
En premier lieu, ce que nous apprécions, c’est la grande cohérence de la création de Clémence depuis ses débuts. Cela révèle un tempérament construit, équilibré et vers lequel on peut aller en confiance car il saura le moment venu faire une proposition graphique singulière. En outre, nous aimons que cette cohérence se construise à travers des variations, au sens musical du terme : c’est-à-dire la multiple mise en œuvre d’images qui aboutit à la transformation d’une même forme – la silhouette – et d’un même thème – l’entre-deux – sans cesse recomposés et réinterprétés, mais donnant lieu à une création reconnaissable. Enfin, nous avions remarqué l’attachement de Clémence à la figure de la « petite fille modèle », en réalité plus mutine qu’il n’y paraît. Tout cela était particulièrement intéressant au moment où nous avons envisagé de lui confier l’illustration de La Ballade de Mulan. Comme dans cette histoire, il y a, dans la création de Clémence, un jeu d’apparence derrière lequel se révèle la complexité des choses, des hommes et du monde.

Quelles techniques a-t-elle utilisées pour cet album ?
Pour La Ballade de Mulan, Clémence a créé ses illustrations en linogravure. C’est un travail incroyable qui lui a demandé beaucoup de temps (pas loin d’une année entre les premières esquisses et la fin de la gravure). En dehors des questions de création graphique et du geste consistant à graver le lino, le procédé technique de la linogravure (application de l’encre sur le papier) est lourd. Il est assez difficile à décrire en quelques mots mais disons, pour faire simple, qu’en linogravure, il n’est pas possible d’appliquer plusieurs couleurs en même temps sur le papier. Or, nous avions choisi que les images soient créées en quatre couleurs (bleu, indigo, orange profond et jaune). Clémence a donc dû, après avoir composé chacune de ses planches, les décomposer en autant de morceaux à graver qu’il y avait de couleurs prévues sur l’image. Ça a rendu la réalisation technique de la gravure encore plus complexe  et le mérite de Clémence encore plus grand. Pour mieux comprendre, on peut se rendre sur le blog de Clémence  où l’on verra quelques photos plus parlantes.

Pour rendre compte de la meilleure façon possible de la qualité des illustrations originales, nous avons choisi d’imprimer le livre sur un papier d’excellente qualité et surtout de l’imprimer en quatre tons directs (plutôt qu’en quadrichromie qui ne rendait pas hommage aux images).

La ballade de Mulan - HongFei CulturesQuelle tonalité souhaitiez-vous donner à cet album ?
Cette question a une réelle importance pour cet album. Nous avions en effet des intentions assez précises.

D’abord, sur la forme : Clémence Pollet travaillait pour la première fois en linogravure pour illustrer un livre. Elle a répondu, en cela, à notre demande. Nous avions eu l’occasion d’apprécier son travail personnel de gravure, et il nous est très vite apparu que cette technique donnerait, par sa nécessaire simplicité de trait et de couleur, et par sa nature proche de la gravure sur bois, une force et une puissance inédites et contemporaines à l’illustration de cette histoire. Nous souhaitions ainsi souligner la qualité du texte et sa place éminente dans la culture littéraire chinoise, tout autant que faire résonner avec détermination le caractère exceptionnel de cette fresque intime, héroïque et universelle.

Ensuite sur le fond : nous avons souhaité inscrire ce livre dans son époque. Au moment même où Clémence était en plein travail de création de ses images et alors que la traduction du texte prenait sa tournure définitive, se développait partout en France, sur un mode souvent fébrile, le débat sur les thèmes de l’identité et du genre. Nous avons entendu, à cette occasion, mille bêtises et des questions bien mal posées. Nous avons alors ressenti le besoin que La Ballade de Mulan prenne une place dans le débat d’idées. À la manière de Mulan dans l’histoire, avec modestie et résolution, discrètement mais sans renoncement aucun, nous avons travaillé à cet album pour qu’il soit à la hauteur des enjeux et d’abord de la liberté individuelle. L’une des manifestations de cette prise de position se trouve dans la décision de créer une jaquette narrative (Mulan quittant un état pour un autre) sous laquelle se révèle, à qui veut la voir, une très belle couverture pleine de sens. Nous avons fait le choix, ici, d’une couverture rare puisqu’elle ne porte ni le nom des auteurs, ni celui de l’éditeur (la jaquette s’en charge). Cette couverture est tout entière attachée à la seule personnalité de l’héroïne (dont le nom est inscrit en chinois). Elle ne lui enlève rien de sa liberté, ne la juge pas, ne joue pas sur une complicité facile entre elle et le lecteur. Elle interroge notre regard. Car en réalité, sur toutes ces questions, c’est souvent moins ce qui est « regardé » (et trop souvent dévisagé) qui pose problème que notre regard.

Propos recueillis par Sandrine Damie

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